Etudes & Opinions

October 3, 2023

Tribunes
L’excès de réglementation déstabilise le financement de la Transition

Depuis les Accords de Paris de 2015, toutes les parties prenantes se sont mises au diapason de la « Grande Transition ». Les Etats, notamment l’Union européenne, ont fixé des objectifs de décarbonation très ambitieux. Les entreprises ont présenté leurs plans de transition. Les investisseurs se sont regroupés dans des coalitions « Net Zero ».  Les régulateurs et les labels, soucieux de flécher l’épargne vers les investissements durables, ont érigé des contraintes importantes sur les institutions financières.

Mais après ces annonces, place à l’exécution, à la mise en situation réelle de cette Grande Transition. Le rythme de progression est lent et la transformation de nos modes de vie et de consommation est bien plus compliquée que ce que les modèles suggéraient. Malgré la forte accélération des installations de parcs solaires et éoliens, on constate, par exemple, que la consommation de pétrole atteint un nouveau point haut cette année et les émissions mondiales de gaz à effet de serre ne baissent toujours pas. Les exemples qui montrent les difficultés opérationnelles de la Transition se multiplient.

Du côté des Etats, la Suède a indiqué qu’elle allait manquer ses objectifs à 2045,contrainte de baisser les impôts sur l’essence pour aider le consommateur suédois. L’Angleterre a décidé de repousser la fin des véhicules thermiques à2035 au lieu de 2030 et a annoncé l’ouverture d’une mine de charbon. L’Allemagne a repoussé une législation interdisant les chaudières à gaz et, plus tôt dans l’année, a obtenu que des véhicules thermiques décarbonés puissent encore être commercialisés après 2030.

Du côté des entreprises, là aussi, certains objectifs ambitieux se heurtent à la réalité. Lego, le leader mondial des jeux, vient d’annoncer qu’il abandonne son plan de remplacement du plastique à base d’énergie fossile par du plastique recyclé. Il juge que son objectif initial est trop compliqué et l’obligerait à repenser tout son outil industriel, ce qui émettrait plus de CO2 qu’actuellement. L’entreprise travaille désormais sur la réutilisation de ses milliards de briques en circulation. Mais le modèle économique est encore à inventer.

Dans la sphère financière, de plus en plus d’institutions se retirent des coalitions qu’elles avaient contribué à créer, inquiètes des risques de greenwashing, des conflits d’intérêt potentiels et des pressions politiques grandissantes.

La pratique confronte les Etats, comme les entreprises, à des difficultés qu’ils n’avaient pas envisagées. Les problématiques sociales et technologiques ont été sous-évaluées. Mais ce n’est pas parce qu’une entreprise comme Lego revoit ses ambitions et sa méthode, qu’elle n’est pas pour autant en transition. Ce n’est pas parce que la Suède repousse ses objectifs carbone neutre qu’elle ne fait pas le maximum pour y arriver. De même ce n’est parce qu’un investisseur sort d’une coalition « Net Zero » qu’il décide de n’investir que dans des énergies fossiles.

La réalité est moins manichéenne et le financement de la Transition doit être flexible s’il veut être efficace. Il doit s’adapter aux contraintes du terrain et privilégier la trajectoire à moyen terme des entreprises plutôt que leurs progrès sur un trimestre voire une année.

Pour faire cela intelligemment, l’investisseur a besoin d’un cadre réglementaire flexible et évolutif qui prenne en compte ces difficultés opérationnelles. Mais le législateur européen fait tout l’inverse. Il contraint l’investisseur à classer ses fonds dans des catégories arbitraires et à s’engager sur des ratios réglementaires théoriques qui n’ont pas de lien avec la réalité économique. Pire, ces règles vont encore se durcir. La définition d’un actif durable est jugée trop vague, les exigences chiffrées trop faibles. L’Europe se rassure dans son rôle de bon élève quand le Royaume-Uni et les Etats-Unis font preuve de pragmatisme. Au sein d’un cadre général, ils laissent de l’oxygène à leurs acteurs économiques, alors que l’Europe les asphyxie avec ses contours trop étroits.

Actuellement, la législation européenne encourage l’investissement dans les sociétés qui émettent peu de gaz à effet de serre au détriment des entreprises en transition. C’est pourtant la décarbonation réussie de ces dernières qui permettra de lutter contre le réchauffement climatique. Avec son excès de réglementation, l’Europe fragilise sa transition, ses entreprises et ses institutions financières.

August 28, 2023

Approche ESG
L'ESG ne doit pas devenir un totem

La crédibilité de l’ESG s’est affaiblie ces douze derniers mois. Deux grandes tendances sont à l’œuvre : la politisation croissante de l’ESG et son assimilation à un totem que chacun doit vénérer et personne ne peut contester.

Les trois lettres E, S, G apportent une dimension morale nécessaire au monde financier et à son économie capitaliste. Elles représentent aussi des facteurs intangibles qui contribuent à la valeur des entreprises, au même titre que des licences, des brevets ou des parts de marché. Ces dernières années, elles ont indiscutablement acquis un statut particulier et de plus en plus elles sont traitées comme un seul bloc« ESG ».

C’est une erreur importante et nuisible à l’avancée d’un capitalisme responsable. En unifiant dans un seul mot des sujets environnementaux complexes, des politiques sociales contraintes et variées et des problématiques de gouvernance subjectives, les politiques trouvent un moyen de rendre leur message plus simple et plus percutant. Ils brandissent l’ESG comme un totem, vénéré ou craint selon l’agenda politique qui est avancé.

Ce phénomène a pris de l’ampleur aux Etats-Unis et engendré un fossé de plus en plus large entre les Etats« pro ESG » et « anti ESG ». Ceux qui diabolisent l’ESG estiment que le concept est tellement dangereux qu’il ne peut en aucun cas être pris en compte dans les décisions d’investissement des fonds de pensions américains. A l’inverse, les Etats « pro ESG » ont tendance à imposer de plus en plus de contraintes sur les entreprises et les acteurs financiers et à museler toute contestation potentielle. Si les trois lettres n’étaient pas associées, les débats seraient plus variés et les positions moins dogmatiques.

Le E est souvent à l’origine de ces postures antagonistes. C’est lui qui a permis aux 3 lettres de prendre autant d’importance. Le S et le G existaient déjà, mais le E, par l’intermédiaire du réchauffement climatique, est venu catalyser le potentiel. Et c’est aussi parce que le E est progressivement passé d’un dialogue scientifique à un débat politique que l’ESG devient un concept clivant plutôt que trois facteurs parmi d’autres qui augmentent la valeur à long terme des entreprises.

Un exemple récent et regrettable suffit à illustrer le risque d’une pensée unique nuisible au E et donc à l’ESG. Fin juillet, le Dr. John Clauser, un des trois lauréats du prix Nobel de Physique 2022, devait faire une intervention devant le FMI sur le thème de la fiabilité des prévisions des modèles climatiques du GIEC. L’argument principal de Dr. Clauser est que les nuages ont un effet réfléchissant, et donc refroidissant, bien plus élevé que l’effet réchauffant du CO2. L’impact du réchauffement climatique sur les nuages n’est pas bien compris et les effets de rétroactions sont très mal pris en compte dans les modèles. L’incertitude sur les prévisions de ces modèles est donc bien plus élevée que ce qui est présenté. Le GIEC lui-même indique dans ses rapports que les nuages constituent la principale source d’incertitude sur ses prévisions.

Il semble que cette argumentation ait été jugée trop conflictuelle et l’intervention du Dr. Clauser a été annulée en dernière minute. Ces pratiques font plus de mal que de bien à la crédibilité du E. Plus le débat semblera verrouillé et politique, moins il emportera l’adhésion naturelle du grand public. Le problème du réchauffement climatique est trop important pour que nous ne fassions pas tout notre possible pour le résoudre. Dans ce contexte, c’est en autorisant la confrontation des idées et la remise en question objective des connaissances établies que nous préciserons le diagnostic et les mesures à mettre en place. Nous devons aussi faire preuve d’humilité à deux niveaux : premièrement, il est toujours risqué de simplifier à l’extrême des sujets trop complexes et deuxièmement, malgré tous nos progrès, il nous reste encore beaucoup à apprendre sur le fonctionnement de notre planète.

Les 3 lettres E, S et G sont trois facteurs distincts qui contribuent à la valeur des entreprises. Les prendre en compte est essentiel, les unifier et les ériger en totem au-dessus des autres facteurs est dangereux. C’est en dépolitisant l’ESG et en favorisant la diversité des opinions que nous avons le plus de chance de faire émerger durablement un capitalisme plus responsable.

July 11, 2023

Tribunes
Energies renouvelables : quand les promesses se heurtent à la réalité

Le rôle de l’investisseur est d’identifier un marché en croissance durable, comprendre les moteurs de cette croissance et s’assurer que tout est fait pour concrétiser les promesses initiales.

Le secteur des énergies renouvelables est le parfait exemple d’un marché en forte croissance sur de nombreuses années. Le moteur principal de cette dynamique est la lutte contre le réchauffement climatique qui impose d’arrêter de brûler des énergies fossiles et de les remplacer par les énergies solaires et éoliennes. Grâce à des coûts qui n’ont cessé de baisser depuis 15 ans, ces dernières sont devenues très abordables et leur croissance est exponentielle. Ce besoin en énergies renouvelables durera de nombreuses années car il s’agit non seulement de remplacer l’intégralité du système énergétique mondial mais aussi d’accroître ses capacités pour satisfaire une demande qui ne cesse d’augmenter.

Non seulement les perspectives de croissance sont bien identifiées mais tout semble être fait pour y parvenir. En2022, avec l’IRA aux Etats-Unis et son équivalent en Europe, les gouvernements n’ont jamais mis autant d’argent sur la table pour accélérer cette transition énergétique. Investir dans les exploitants de champs éoliens et solaires ainsi que dans les fabricants d’éoliennes et de panneaux solaires semble donc représenter l’opportunité d’une génération.

Mais l’investisseur averti prend en compte l’ensemble de la chaîne de valeur de l’industrie qu’il analyse. Dans le cas présent, la disponibilité du réseau électrique est une condition nécessaire à la mise en production de tous ces projets d’énergies renouvelables. Cette contrainte physique est souvent minimisée voire négligée. C’est pourtant ce réseau électrique qui risque d’être la source de grandes déceptions pour les investisseurs attirés par les promesses de croissance exponentielle des énergies renouvelables.

Dans les pays développés, les réseaux électriques datent pour la plupart des années 50 et ont été construits pour transmette l’électricité à partir de quelques grandes centrales de génération. Or un réseau moderne doit pouvoir connecter de multiples endroits, éparpillés partout où sont installés des champs d’éoliennes ou de panneaux solaires. Il doit aussi pouvoir transporter plus d’électricité car la transition passe par l’électrification des usages comme l’illustre le passage à la voiture électrique.

Les besoins en investissement pour agrandir et moderniser nos réseaux sont à la fois gigantesques et ont en même temps peu de chance d’intervenir rapidement. Bloomberg NEF estime qu’il faut 80 millions de kilomètres en plus de réseau d’ici 2050, plus que pour remplacer l’intégralité du réseau mondial actuel. Pourtant, l’Agence Internationale de l’Energie (AIE)indique qu’au niveau mondial, les investissements dans les réseaux ont baissé entre 2017 et 2020 avant de légèrement remonter à $330 milliards par an en2022. D’après certaines estimations, il faudrait investir $530 milliards par an d’ici 2030 pour rester aligné avec un scénario 1,5°C.

Pour comprendre cet écart entre l’offre et la demande, il faut revenir à la gouvernance historique des investissements dans les réseaux. Sur les 50 derniers années, ces réseaux ont en général été détenus par des gouvernements ou par des opérateurs privés dont les investissements étaient contrôlés et rémunérés par les gouvernements. La gestion des ces réseaux avait deux objectifs : assurer une électricité stable et sécurisée et réduire au maximum les coûts supplémentaires pour les particuliers. Ces deux objectifs ont été remplis et les coûts du réseau sont une faible partie de la facture d’électricité. Mais comme cette gouvernance n'offrait pas de motivation financière pour investir de manière stratégique, la plupart des investissements n’ont porté que sur des améliorations et des extensions ponctuelles des réseaux.

Même à supposer que les régulateurs changent rapidement les mécanismes d’incitation, il n’y a pas de solution rapide à l’agrandissement et à la modernisation des réseaux car cela peut changer leurs propriétés et donc leur stabilité. De plus il y a des pénuries de main d’œuvre pour accompagner tous les déploiements qui seraient nécessaires. Cette situation est déjà en train de ralentir la mise en place des projets d’énergies renouvelables. En Angleterre par exemple, certains projets ne seront pas connectés au réseau avant 2030-2035. On observe la même situation aux Etats-Unis.

L’enthousiasme pour la croissance des fabricants et des exploitants d’énergie renouvelables repose donc sur des promesses qui pourraient décevoir ou être décalées dans le temps. Ce sont les acteurs de réseaux qui conditionnent désormais le succès de la transition énergétique. Leur croissance est inévitable, elle sera plus lente mais aussi plus consistante, et les attentes sont plus raisonnables, une autre source d’opportunités pour l’investisseur ?

June 13, 2023

Tribunes
Transition énergétique : les signes d’une forte accélération

En 2022, plusieurs chiffres ont montré que la Transition énergétique est en phase de forte accélération. D’une année sur l’autre, les augmentations de capacité en énergie solaire sont en hausse de 40%, de même pour les augmentations de capacité dans le nucléaire. Les ventes de véhicules électriques progressent de 59% et la croissance des pompes à chaleur suit sa trajectoire ambitieuse. Enfin, pour la première fois, la taille des projets prévus dans l’énergie solaire jusqu’en 2030 est compatible avec l’objectif de limiter le réchauffement climatique à 1,5°C.

C’est le début car les plans budgétaires qui accompagnent la Transition ne font que démarrer. Aux Etats-Unis par exemple, l’IRA (Inflation Reduction Act) est l’événement le plus important depuis la signature des Accords de Paris en 2015. Près de $400 milliards d’aides et de subventions sont disponibles pour les entreprises afin d’accélérer la Transition. Depuis la mise en place de ce plan en janvier, on assiste à une véritable explosion des projets qui visent tous, d’une manière ou d’une autre, à limiter le réchauffement climatique. Même si l’équivalent européen de l’IRA a fait moins de bruit, est jugé moins ambitieux et plus complexe à mettre en œuvre, en Europe aussi l’accélération des projets est extrêmement forte.

Certaines tendances sont très encourageantes. Selon Bloomberg, au 1er trimestre 2023, les émissions deC02 en Europe étaient en baisse de 13%par rapport à 2022 et inférieures à l’année 2020 quand l’économie était en partie à l’arrêt à cause du COVID. Ce résultat inattendu vient du prix élevé des énergies fossiles et de la forte augmentation des énergies renouvelables. Nous le voyons aussi au travers des entreprises que nous avons en portefeuille. La plupart d’entre elles démontrent leur capacité à croître sans augmenter leurs émissions. C’est un des deux paramètres clé de la Transition, réduire l’intensité énergétique de la croissance du PIB. L’autre étant de passer des énergies fossiles aux énergies renouvelables.

Deux facteurs principaux sont à l’origine de ces tendances prometteuses. D’un côté les entreprises accélèrent fortement leurs investissements et leurs dépenses en R&D car elles ont plus de visibilité sur la demande finale et sur les incitations fiscales. De l’autre, les Etats continuent à renforcer leurs engagements pour être alignés avec l’ambition des Accords de Paris. Pour la première fois, leurs objectifs semblent même compatibles avec un scénario de réchauffement limité à 1,8°C.

Cet environnement favorable est nécessaire car les besoins en investissement restent très significatifs. Ne serait-ce que dans les réseaux électriques, par exemple, pour faire face à une capacité énergétique beaucoup plus fragmentée avec l’essor de l’éolien et du solaire, on estime qu’il faudra dépenser deux fois plus chaque année alors que, pour l’instant, les investissements stagnent depuis 2016.

Même si la Transition accélère, il reste des obstacles à lever qui freinent les entreprises dans leurs investissements et préoccupent les actionnaires. Le plus important porte sur la réglementation des permis qui n’est pas encore à la hauteur des enjeux. Aux Etats-Unis par exemple, 60% des nouveaux projets d’énergie décarbonée font l’objet de recours par des associations locales, 30% des projets supérieurs à200 millions de dollars ont été abandonnés. En Europe, les conditions sont encore moins favorables et de nombreuses lois environnementales sont utilisées pour ralentir les nouveaux projets.

Il est nécessaire que cette situation change rapidement si l’on veut pérenniser les investissements. Maintenant que le diagnostic du réchauffement climatique est assumé, que le cadre législatif est en place et que les incitations fiscales sont disponibles, il faut laisser le capitalisme faire son œuvre. Comme par le passé, c’est la libre entreprise qui assurera la rapidité d’exécution, permettra l’innovation, attirera les talents ainsi que les financements et fera de la Transition une véritable réussite collective.

April 24, 2023

Tribunes
Le Say on Climate est-il nécessaire?

Le Say on Climate est une initiative simple et pertinente. Elle propose que lors de l’assemblée générale, les actionnaires aient un vote consultatif sur la qualité de la stratégie climat de l’entreprise. Cette méthode permet non seulement de favoriser le dialogue au sein de l’entreprise mais aussi la responsabilisation collective autour du plus grand défi de notre génération : la lutte contre le réchauffement climatique.

Généralement, les idées simples et de bon sens se répandent rapidement et largement. Mais ce n’est pas le cas du Say on Climate.  En2021, 3 entreprises françaises ont soumis un vote Say on Climate à leur AG, en2022 elles étaient 10, moins de 10% du SBF120.

Même s’il est plein de bon sens, le Say on Climate n’a pas d’existence juridique. Jusqu’à maintenant, seules les actions volontaires des entreprises ou les résolutions de certains actionnaires ont permis de mettre le Say on Climate à l’ordre du jour de quelques assemblées générales. L’absence de réglementation freine la majorité des entreprises et inquiète certains actionnaires. Leurs raisons sont légitimes.

L’interrogation la plus répandue porte sur la notion juridique de séparation des pouvoirs entre le conseil d’administration et les actionnaires. En droit français, la mise en place de la stratégie est de la responsabilité du conseil d’administration. Pour certains, les actionnaires ne sont donc pas habilités à voter sur la stratégie climat qui est une partie de la stratégie générale de l’entreprise. L’interprétation des textes est plus nuancée1, notamment car le vote proposé n’est que consultatif et ne « contraint » pas le conseil d’administration dans l’élaboration de sa stratégie d’entreprise. Dans son rapport récent2, le Haut Comité Juridique de la Place Financière de Paris(HCJP) écrit d’ailleurs que reconnaître aux actionnaires la possibilité de voter sur la stratégie climatique de la société au moyen d’un vote consultatif ne heurte aucune règle juridique.

Cependant ,même si la tenue d’un vote Say on Climate est juridiquement acceptable, les entreprises comme les actionnaires s’inquiètent parfois des conséquences possibles d’un tel vote. Que se passe-t-il si le vote est défavorable ?Qu’en est-il s’il est favorable mais que la stratégie climat n’est pas assez ambitieuse ? Si l’entreprise a soumis une fois le vote à ses actionnaires, est-il attendu qu’elle le soumette désormais chaque année ? Le HCJP propose que le conseil d’administration explicite ex ante quelles seraient les actions prises dans l’hypothèse d’un vote défavorable. Il explique aussi que le fait d’avoir obtenu un vote favorable de la part des actionnaires ne modifie en rien le régime juridique de responsabilité du conseil d’administration en l’allégeant, ou des actionnaires, en le renforçant. Enfin, il indique qu’il n’est pas judicieux de fixer in abstracto une fréquence de proposition du Sayon Climate. Il suggère que ce soit le conseil d’administration qui la détermine. De son côté, la Commission Climat et Finance Durable (CCFD) a elle aussi publié récemment des recommandations concrètes pour favoriser l’institutionnalisation du Say on Climate3.

En parallèle, les entreprises ont fait beaucoup de progrès dans la transparence de l’information environnementale à destination des actionnaires. Pour la plupart, elles se sont aussi fixé des objectifs chiffrés de réduction des émissions de GES à horizon2030. Elles entament la troisième étape : le déploiement de leur stratégie pour atteindre ces objectifs. Cette phase est la plus importante car elle concrétise les initiatives nécessaires à la lutte contre le réchauffement climatique. Elle permet à l’entreprise de réduire ses risques comme des hausses de coûts liés la réglementation du CO2, un coût du capital plus élevé ou des attaques de greenwashing par exemple. C’est donc la pérennité du modèle économique qui est en jeu.

Dans ce contexte, il est illusoire de penser que le Say on Climate est la solution oula garantie d’une stratégie réussie. Il est un point de passage possible et peut contribuer à la responsabilisation des parties prenantes. Mais ne nous y trompons pas, qu’il soit présent ou absent des assemblées générales, le Say on Climate n’exonère pas les actionnaires de leur nouvelle obligation : savoir analyser la qualité et l’exigence de la stratégie climat des entreprises dans lesquelles ils investissent.    

1https://baldon-avocats.com/resolutions-climatiques-et-separation-des-pouvoirs-au-sein-de-la-societe-anonyme/

2https://www.banque-france.fr/sites/default/files/rapport_54_f.pdf

3https://www.amf-france.org/sites/institutionnel/files/private/2023-03/CCFD%20AMF%20-%20R%C3%A9solutions%20climatiques_0_0.pdf

March 23, 2023

Tribunes
Pour être légitime, l’ESG ne doit pas être excessif !

L'influence grandissante de l'ESG dans le monde des affaires

Déjà importante, l’influence de l’ESG dans le monde des affaires continue à progresser. C’est un phénomène souhaitable qui permet de diminuer les risques liés à un capitalisme débridé. Tant dans son rôle sociétal que dans son impact sur les pratiques environnementales des entreprises, l’ESG œuvre à un développement économique plus harmonieux. Cependant, ces derniers mois, les bienfaits de cette tendance ont plusieurs fois été remis en cause. Il est important de comprendre les raisons et les implications de ces changements récents.

Des changements récents

En janvier, aux Etats-Unis, entrait en vigueur une loi qui permettait aux fonds de pension américains de prendre en compte des critères ESG dans leurs décisions d’investissement. Seulement deux mois plus tard, le 1er mars, le congrès votait pour annuler cette loi. Les inconsistances des responsables politiques américains reflètent le malaise qui s’est progressivement installé autour de l’ESG. Les enjeux sont majeurs car cette loi concerne 747000 plans de retraite, 152 millions de citoyens américains et 12000 milliards d’investissements.* Même si Joe Biden devrait utiliser son veto et maintenir la loi, le vote du congrès est lourd d’enseignements pour l’avenir de l’ESG.

Il y a encore quelques trimestres, un tel événement aurait été impensable. Mais en 2022, plusieurs états américains ont fermement condamné l’ESG, jugeant que son influence dans les décisions d’investissement était devenue excessive. Les raisons principales de leur contestation sont les suivantes : il n’existe pas d’analyses fiables qui démontrent la supériorité financière des placements ESG, le marketing ESG manque souvent de substance et de transparence, les scoring ESG reflètent le passé et non les perspectives, les fonds ESG chargent des frais beaucoup plus élevés et l’ESG est détourné et utilisé pour servir des agendas politiques. Même si les ONG et les plus fervents défenseurs de l’ESG s’offusquent de tels propos, l’honnêteté intellectuelle impose de constater que ces récriminations sont en partie légitimes.

Ces points de fragilité sont le talon d’Achille de l’ESG et la raison pour laquelle on ne doit pas lui donne run rôle qu’il ne peut assumer. De même qu’on ne doit pas s’approprier le terme ESG et l’utiliser dans un but mercantile pour « surfer » sur la vague. Parce qu’ils nuisent sérieusement à la crédibilité de l’ESG, ces comportements sont dangereux. Plus ils sont nombreux, plus les critiques seront fortes, et à juste titre. Il nous faut endiguer ces sentiments extrêmes en remettant l’ESG à la place qui est la sienne.

L’investisseur fait son devoir lorsqu’il optimise la relation entre le rendement potentiel et les principaux risques d’un actif. Ces risques peuvent être tangibles (l’incendie d’une grosse usine pour un fabricant automobile) ou intangibles (une perte de brevets pour une société pharmaceutique). Pour chaque investissement, il existe une multitude de risques, mais seulement une poignée d’entre eux comptent vraiment. Ils sont « matériels ». Parfois l’ESG fait partie de ces risques matériels, parfois non.

Si une société est soumise aux quotas d’émissions de CO2 de l’Union Européenne, la trajectoire de ses émissions de gaz à effet de serre est un risque majeur pour l’entreprise, peut-être le plus important. En revanche, pour une société de services, ce risqueCO2 est négligeable. Si le taux d’accident d’une entreprise est hors norme, il devient un risque matériel pour la réputation de la société, mais s’il est dans la moyenne, ce n’est pas un sujet clé pour la décision d’investissement (fonds PEA).