Le Cygne Noir de l'inflation : La Fed en passe de faire sauter les verrous monétaires ?

Temps de lecture : 1 min
   Publié le  
December 15, 2025
 par 
Laurent Chaudeurge

Le Cygne Noir de l'inflation : La Fed en passe de faire sauter les verrous monétaires ?

Le 1er décembre 2025, la Fed a stoppé son QT (Quantitative Tightening) pour laisser son bilan croître à nouveau. En théorie, il s'agit d'un simple ajustement technique visant à éviter une pénurie de réserves bancaires. Mais en pratique, cette décision n’est pas anodine. Comme le souligne Ray Dalio, fondateur du hedge fund Bridgewater Associates, voir la banque centrale recréer des réserves en haut de cycle, quand les valorisations sont parfois excessives, les spreads de crédit au plus bas et le chômage à seulement 4,3 % n’est pas habituel. Les marchés ne s’inquiètent pas, car le QE post-2008 n’a pas créé d’inflation. Mais cette fois-ci, la Fed stimule en période d’expansion et non de contraction, et les verrous imposés après 2008 sont en train d’être desserrés.  

Pour bien comprendre la nouvelle donne qui se dessine, il faut repartir de ce qui a changé après 2008. Avant la grande crise financière, le système bancaire fonctionnait de façon beaucoup plus simple : les exigences de liquidité étaient faibles, les réserves n’étaient pas rémunérées et les fonds propres réglementaires restaient modestes. Quand la Fed assouplissait les conditions de financement, la masse monétaire trouvait en quelques mois le chemin de l’économie réelle et la vélocité de la monnaie était élevée.

Après 2008, tout a changé. Le QE a fait exploser les réserves bancaires de 20–40 milliards de dollars à près de 3 000 milliards aujourd’hui, mais cette abondance de liquidités ne s’est pas transformée en crédit, car les règles de fonctionnement du système ont été modifiées.

Tout d’abord, le régulateur a imposé aux banques de maintenir des ratios de liquidité beaucoup plus élevés pour faire face à des mouvements de panique des épargnants. Les besoins en actifs liquides de chaque banque ont ainsi été multipliés par 3 à 5. En conséquence, les banques ont limité l’expansion de leur bilan pour préserver leur liquidité et l’activité de crédit a été ralentie.

Ensuite, la Fed a commencé à rémunérer les réserves bancaires. Dans les années 1970 ou 1990, laisser dormir des liquidités ne rapportait rien aux banques : leur seule façon de gagner de l’argent était de prêter. Mais dans le monde post-QE, la Fed leur permet de gagner sans risque et sans rien faire. Et comme cette rémunération sert de taux plancher, les ménages et les entreprises gardent eux aussi leurs liquidités dans des placements rémunérés. Le résultat est que le circuit de transmission classique est grippé et que la monnaie en circulation progresse lentement malgré les 8 000 milliards de dollars ajoutés au bilan de la Fed depuis 2008.

Enfin, le régulateur a imposé aux banques de renforcer significativement et durablement leurs ratios de fonds propres. Le capital est devenu rare et cher pendant une décennie et a bridé la croissance des prêts bancaires.

Ces trois verrous — introduction des contraintes de liquidité, rémunération des réserves et augmentation des fonds propres — ont anesthésié la transmission monétaire classique et fait chuter la vélocité de la monnaie à environ 1,12, son plus bas niveau historique.

Cela explique l’anomalie post-2008 : la Fed a créé des réserves mais, sans crédits bancaires, la monnaie en circulation n’a pas suivi et l’inflation est restée contenue.

Le cygne noir peut apparaître si ces trois verrous sautent simultanément, et c’est ce qui rend la situation actuelle préoccupante. Une Fed qui arrête le QT en haut de cycle n’agit plus comme un contrepoids mais comme un accélérateur. Dans le même temps, les pressions pour assouplir les contraintes de liquidité, réduire les niveaux de fonds propres réglementaires et accélérer la baisse des taux augmentent. Ces pressions, nées des exigences du marché et des banques elles-mêmes, visent à alléger un carcan réglementaire jugé trop coûteux. Tous ces mouvements pourraient libérer 1 500 à 2 000 milliards de dollars de capacité de prêts et accélérer la croissance de la monnaie en circulation — et donc de l’inflation.

Il suffit qu’une partie de cette somme se transforme en prêts bancaires supplémentaires pour que l’inflation reparte. En combinant une croissance de la monnaie en circulation de 8 à 12 % (un rythme déjà observé en 2020–2021) avec une vélocité qui remonte vers 1,30–1,35 (ce qui resterait très loin des 1,6–1,8 d’avant 2008), nous serions conduits mécaniquement à une progression du PIB nominal de 6 à 8 %. Avec une croissance réelle autour de 2 %, l’inflation qui en découle s’établit naturellement entre 4 et 6 %.

Pourtant, le marché n’envisage rien de tout cela. Les anticipations d’inflation pour 2027–2028 restent autour de 2,2–2,4 %. Comme si l’architecture post-crise était immuable. Elle ne l’est pas. Et la décision de la Fed d’arrêter le QT pourrait bien être le premier signe d’un système qui se déverrouille. Les cygnes noirs ne naissent jamais des risques que tout le monde surveille. Ils naissent des évidences que plus personne ne questionne.

Par Laurent Chaudeurge, Membre du comité d’investissement de BDL Capital Management


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